INSTANT AUBRAC
Un plateau pas si plat, cabossé, image de la vie
Ici émergent des puech et se creusent des combes
Emergent des vies, se creusent des tombes
Le chemin débute dans la lumière naissante
Les premières ombres s’invitent, certaines ténébreuses, d’autres moins obscures
Quand les plus lugubres d’entre elles s’abattent, seul le vide a du sens
Dans l’assourdissant silence une gangue de houille nous emprisonne
La vie semble interdite, respirer étouffant, sourires et rires illicites
La chute est possible
Mais avancer est l’essence de notre être animal
Inconsciemment,
Motte après motte, bloc après bloc, pas après pas,
Jusqu’à ce que l’entrave se brise
Nouvelle éclosion au-dessus des brumes, bouffées d’air pur
Au loin sont tapies d’autres chimères,
Elles ne pourront réchapper à notre nouvel œil, la confrontation sera victoire
Les indicibles tempêtes ont fait leur office et forgé notre substance,
Elles sont maintenant dissoutes,
Nous sommes prêts
Oui, il y a toujours un après.
Outre-terre
Ils sont ceux du vide, de l’isolement, de l’absence, de la résilience. Devant, les volées floconneuses dansent et virent pour les déstabiliser, briser leurs lignes.
Inutile.
Furieux ils en appellent à l’écir, pour dans une vague s’emporter et tenter de noyer les inébranlables effrontés.
Vaine tentative.
Ils savent, ne veulent croire mais tentent. Respectables efforts me direz-vous. Il vaut mieux essayer que ne pas faire. Surtout lorsque nous ne sommes rien. Pour autant faut-il s’enorgueillir, plastronner au-delà de toute humilité ?
Oh oui mes braves, je vous le dis : vous pouvez vous agiter, vous donner plus d’importance que vous n’en avez. Néanmoins qui sera à l’arrêt dès que le vent s’essoufflera ? Qui disparaitra dès que le soleil le décidera ? Sûrement pas ces frères de résine. Mais vous … oui … vous.
S’agiter et hurler, brûler son énergie dans le paraitre comme les flocons ?
Prenez un raccourci et gagnez du temps. Immergez-vous dans l’acide et disparaissez. Le résultat sera le même, vous dissoudrez votre être, et serez le reflet de votre échec.
Ces flocons, dans quelques jours, quelques heures, n’existeront plus. Voulez-vous suivre leur voie ?
J’en doute.
La force est dans le silence et l’abnégation, dans la discrétion plus que dans le paraître.
Souvenez-vous en.
St Côme le 27 juin 2022
Équilibre.
J’avance dans un univers monochrome, un univers où semblent n’exister que des nuances de gris. Ici les hausses de terrain lumineuses côtoient les combes poussiéreuses, les rocs éteints flottent sur une houle nivéenne, et les hêtres sans racines respirent, auréolés de diadèmes d’argent.
J’avance dans un espace restreint et dense lorsque le soc dur de l’hiver me balaie. Je suis entravé par la neige, secoué par la force de l’écir, aveuglé par les vagues cristallines, mais lorsque souffle l’accalmie, une immensité sans fin se dévoile.
Allégé de cette furie, comme elle je me suis arrêté, l’espace redevient infini et léger. Je me redresse doucement. Le monde du peu, de l’essentiel s’offre.
Autour de moi, plus que jamais aériennes, les branches alourdies balancent en douceur. Tout est rondeur et douceur, nu et habillé à la fois.
Je marche. Quelques pas, une tache de couleur inattendue vient faire vaciller l’équilibre des gris. La tourbe. Elle ne renonce pas. Même délavée par la neige elle rappelle qu’elle est là, qu’elle est le terreau de l’Aubrac.
le 1er décembre 2021
Rupture
Au milieu d’un océan de glace émergent les vestiges d’une antique colonne vertébrale. Le dos d’un immense animal fantasmagorique qui aurait hanté ces hauteurs. Un géant qui a vécu les plus terribles tempêtes, survécu aux flammes enragées des volcans, ignoré l’assaut des glaciers, jusqu’au jour d’une funeste vision. Celle d’un monde à la dérive dans laquelle il n’a plus sa place, volée par des bipèdes destructeurs. Son choix ? S’évaporer dans le sol de granite cendré. L’évasion dans la perte comme échappatoire.
Aujourd’hui le sol brisé par les temps, usé par l’eau et le gel essaie de rendre vie à cette ossature défaite. L’onde acérée converge vers ces blocs magnétiques. Attirée par un chant de douleur que je ne peux entendre. Parce que je ne sais pas écouter. Je ne sais pas voir. Pourtant le sol respire de cette âme encore vivante, même si son corps est mort. En réalité le vent hurle à mes oreilles sa souffrance, l’horreur de la souillure des Hommes, lauréats d’un h majuscule immérité, mais je n’entends toujours rien, plus sourd que l’oppresseur, plus aveugle que l’ingénu … peut-être devrais-je m’adosser à ces Vertèbres et espérer comprendre ce que nous ne devrions pas être.
St Côme le 29 décembre 2021
L’essence,
Aller.
Longer les clôtures,
Avancer dans la brume,
Puis dans la lumière.
Ne rien voir, mais sentir
Ressentir.
S’arrêter où il le faut,
Puis attendre,
Attendre …
Attendre l’instant.
Celui où les volutes vaporeuses seront déchirées,
Celui où les rayons éclaireront
Celui où l’épanouissement sera.
Des minutes qui n’existent pas,
Celles où finalement rien n’existe,
Juste les ombres et vous,
Mais ont tellement de force.
Et lorsque l’heure est venue
Ce qui doit être, est.
25 juillet 2021
Trace
Essence vaporeuse qui s’élève
Lien entre ciel et terre
Passe, efface, révèle,
Une colonne d’âmes solitaires
De son souffle emporte leurs pensées
Sillonner d’autres mondes
Cambium déformé par les ondes
Corps aux prises de ces insensées
Déchirés dans l’ocre d’octobre
Les feuilles dévoilent des troncs syntones
L’hiver ne leur jettera pas l’opprobre
Les houppiers se relèveront, oubliant l’automne.
Traverser des épreuves qui tordent
Courber l’échine, même sans grâce
Et lorsque l’éclaircie estompe la discorde
Se redresser et reprendre sa trace.
21 août 2021
Absente présence
Des jours encore sombres,
L’édifice de pierres décharnées
Sous les assauts de l’ombre
A lui aussi sombré.
Point de renaissance
Pour certains d’entre eux
Dont l’absence
Ne perturbe les cieux
Les blocs érodés
Vestiges d’une vie dure
Entière et possédée
Mémoire clair-obscur
Affranchis du temps
Regards vides
Vers cet horizon impénitent
Patience impavide.
6 juin 2021
Univers végétal
Deux éclaboussures claires, concentriques. Elles me font penser aux ronds de sorcières. Des sorcières qui se seraient échappées de la périphérie du cercle pour envahir l’ensemble. Des sorcières qui ont dansé jusqu’au bout de la nuit, allant chercher leur énergie dans la force vitale de la prairie, l’épuisant, la marquant au plus profond.
En face, je les contemple, assis sur l’herbe encore sèche.
Au-dessus de moi les hêtres se découpent sur un ciel gris, uni, pesant. Encore dépourvus de feuilles, ils frémissent dans le vent. Au sol un tapis de cupules ouvertes et de faînes m’entoure. Mes doigts s’amusent avec, tout en méditant sur le pourquoi de ces deux tâches hypnotiques.
Sur ma gauche, une grive draine accompagne ma réflexion de son chant mélancolique, de l’autre bord de la clairière un rouge gorge semble lui répondre. Impossible de les apercevoir.
Mon regard revient à ce que je vois maintenant comme deux planètes végétales. L’une semble être le satellite de l’autre. La plus grande, parée d’un cœur de pierre, domine et illumine. Constellation ceinturée d’arbres. Mini-univers dont j’ai la chance de faire partie pour quelques heures. Seul. Libre.
Samedi 1er mai 2020
Retrouvailles
Aujourd’hui j’ai retrouvé un Aubrac qui était absent depuis quelques temps, un Aubrac de nouveau pudique, moins éblouissant que ce qu’il était sous l’azur et le soleil éclatant, mais un Aubrac que je préfère, je crois. Un ciel structuré, des reliefs texturés, qui ne sont pas écrasés sous une lumière trop vive. Un Aubrac avec lequel il est plus facile de jouer, même s’il est peut-être plus difficile à vivre. Le vent, lui n’a pas vraiment choisi de se faire oublier. Au contraire, ses plans pour faire frissonner ne sont plus contrecarrés par la chaleur des rayons, il peut librement disposer des corps et essayer de les déstabiliser. Couvercle trop longtemps disparu, les nuages ont retrouvé leur place. Revenus pour protéger ce qui doit garder une part de mystère, comme pour cacher des regards célestes ces dizaines de petits soleils terrestres.
Dimanche 11 avril 2021
Renouveau
Le soleil vient de débuter sa course, les ombres se réduisent, les troncs conservent encore quelques-uns des secrets de la nuit.
Sous les branches nues, la sittelle et la boralde chantent chacune leur gamme, venant bercer ceux qui fuient la lumière et éveiller ceux qui l’attendent.
Un cycle s’achève, un autre commence.
La forêt passe de la nuit au jour, de l’hiver au printemps. Les premiers bourgeons, prudents, pointent timidement sur les branches, sondes qui déclencheront l’explosion émeraude.
Au sol l’entrelacs de racines brunes disparaitra alors sous l’assaut d’une joyeuse compagnie de calices et corolles, avec pour capitaines sauterelles, fourmis et carabes.
Je me détourne de ce jardin naissant et m’apprête à m’enfoncer dans un autre univers, plus inflexible, plus sombre, majestueux : celui de la légion des hêtres, jaloux gardiens de leur monde de silence.
Mardi 30 mars 2021
Mardi 16 février 2021
Retraite
L’épais manteau neigeux, défait, s’est échoué au fond des ravines. La tourbe l’attendait. Libérée de son étouffante emprise, de son implacable masse, elle tient sa revanche.
Elle l’absorbe. Le possède et ne le libère qu’après l’avoir marqué de sa lie. Lui, alors si fier de sa lumineuse pureté en ressort ténébreux, comme brûlé par un soleil absent, devenu un simple courant bistré.
Après avoir été l’écrasant, il est l’écrasé, plaqué par l’anthracite.
Déchu, il s’échappe pour retrouver sa dignité.
Il reviendra.
(Pont des Quilles – Le Rioumau)
Samedi 6 février 2021
Passerelle
Un de mes lieux favoris sur l’Aubrac. J’aime ici surplomber ses courbes, ressentir ses puissantes vibrations. Il les projette jusque dans la rampe métallique de la passerelle, normalement rigide et immobile. Il lui imprègne sa vie. Insaisissable, assemblage de si peu, et de tant aussi, générateur d’ondes dansantes.
Là-haut je me sens à l’abri, le domine pour mieux le ressentir, le voir évoluer. Rester humble. Je connais sa force implacable quand il est gonflé des orages d’été, ses courants hurlants fracassant les rocs. Les yeux fermés, les mains enracinées dans le vibrant métal, je plonge dans cette
eau noire. Le privilège de partager un instant son cours. Je me détache de l’acier, ouvre l’obturateur de mon appareil … laisse filer quelques secondes puis le referme. Je ne veux pas figer le Bès, qu’il continue d’être, même emprisonné dans un cadre.
Dimanche 24 janvier 2021
Pudeur
Je viens de repartir, me relancer dans cette marche aux pas ralentis par la poudreuse.
Le corps ressent.
Les muscles se tendent et se détendent, le souffle s’accélère.
La sensation de lourdeur, puis de légèreté du pied qui s’arrache de ces nuages échoués, m’apaise.
Sur cet aérien duvet la rosace de mes bâtons écrit son nom tout en rondeur.
Pause,
Celle où je stoppe l’effort et Regarde ce qui est autour.
Ils sont là.
Eux, ensemble, groupés, unis.
Discutent-ils ?
Oui,
De quoi ?
Du temps qui passe ou ne passe pas ?
Du poids des ans ou du poids de la neige sur leurs branches ?
D’où viennent-ils ?
Peu importe.
Je les trouve beaux.
Attirants.
Les clôtures aussi convergent vers eux.
Elles se souviennent avoir été arbres.
Peut-être espèrent-elles, un instant, retrouver leur liberté et leur hauteur
Faire partie d’un tout.
Au-dessus la brume ouvre ses bras de tulle blanc, intimise ces retrouvailles,
Offre un cocon ouaté et pudique
Simple témoin, je préfère rester à distance
Et malgré tout, un peu honteux, leur voler un instant …
Dimanche 3 janvier 2021
Aller
Les hêtres
Avant de basculer dans le confinement, quelques kilomètres et une montée sur la plateau s’imposent ! Même si mon lieu de vie m’offre un confinement de luxe.
Sortie sur la tourbière de la source du Roc, l’ambiance est là, le ciel plombé et les éclaircies vont à tour de rôle. Je respire ces moments, les apprécie dans leur entièreté. Chacun à sa beauté, sa force et son caractère.
Le silence et le mouvement de même. J’aurais pu écrire « le silence et la vie de même », mais à la réflexion, le silence est aussi la vie. Il doit être apprécié à sa juste valeur, réaliser ce qu’apporte l’arrêt, en prendre conscience.
Je reviens à mon opposition silence/mouvement. C’est vraiment incroyable comme l’on sent la différence. Quand le soleil se montre, j’entends les tarins s’égayer dans les aulnes, se régaler des fruits, les bois bruisser, la vie est présente.
La brume monte, le ciel s’obscurcit, s’abaisse. Lourd et uniforme presque palpable. Les sons deviennent ténus puis s’arrêtent, même le chant du ru semble disparaître
Puis ces hêtres me font face, torturés, isolés au milieu de cette tourbière. La lumière et l’eau à leurs pieds, l’ombre sur leurs faîtes. Le soleil est de retour, se faufile sous le couvercle nuageux.
Beaux, magnifiques, puissants, élevés.
L’instant est magique.
L’ombre n’est que de l’ombre, le prémice de la lumière, l’un de va pas sans l’autre. La patience est de mise pour apercevoir l’un puis l’autre.
Jeudi 29 octobre 2020